Focus sur un membre de l’ORT

JOÃO CORRÊA

La passeur de mémoire en cette année du souvenir pour les

 » Justes parmi les Nations « 

Auteur de l’histoire originale du film « LE CONSUL DE BORDEAUX » je réponds à la question du comment et du pourquoi je m’investis tellement dans le travail de mémoire de cet homme que j’admire.

Comment ai-je croisé l’histoire émouvante du Consul du Portugal à Bordeaux en 1940, Aristides de Sousa Mendes, personnage fascinant qui, de prime abord ne me fût pas sympathique.

Cet aristocrate monarchiste et réactionnaire était comme le portrait de certains membres de ma famille au Portugal que j’avais fui sans regret en 1963.

Un après-midi radieux de 1990 je me promenais à Riga, l’ancien grand port russe de la Baltique devenu la capitale d’un tout petit pays, la Lettonie, qui était devenu indépendant à la chute du mur de Berlin en 1989. 

Adris Rozenbergs, fonctionnaire du Ministère de la culture de Lettonie, m’avait invité à visiter la maison natale du grand réalisateur soviétique Eisenstein, né à Riga. J’ignorais qu’il était letton d’origine juive allemande, tout comme Adris.

Les grandes chaînes de télévision publiques regroupées tant bien que mal via l’UER (Union européenne de Radiodiffusion), co-produisaient des histoires capables d’intéresser trois ou quatre grands pays européens. J’avais été approché par une des grandes chaînes qui souhaitait une histoire solide. Ma fragile carrière d’homme de cinéma s’est ainsi bâtie, au hasard des propositions mais toujours à la recherche d’une « bonne histoire ». 

Me voici donc 28 années plus tard, comme cinéaste, à la recherche d’une « bonne histoire ». 

Après la visite de la maison Art/Déco des parents d’Eisenstein, mon ami de fraîche date, me conduisit à une terrasse de la vieille ville. Je lui fais part de mon souci de recherche d’une bonne histoire qui commencerait en Lettonie à Riga, lui avouant avoir déjà une idée, selon moi intéressante pour une série européenne.

L’Espagne et le Portugal avaient expulsé les juifs en 1492. Ils s’étaient dispersés en Afrique du Nord, en France et en Europe du Nord ou de l’Est ou encore dans l’ancien Empire ottoman, sauf ceux (peu nombreux) ayant accepté de se convertir au catholicisme. 

Or, voici que dans les années 30, après la prise du pouvoir nazi en Allemagne, les descendants  de ses populations devaient fuir pour sauver leur vie menacée par les pogroms. Certains qui le pouvaient, voulaient à tout prix retourner à Lisbonne et émigrer vers les Amériques. Je pensais avoir trouvé, dans cette constatation d’un surprenant revirement de l’histoire, les bases d’un bon scénario pour les producteurs des grandes chaînes européennes, j’avais déjà intitulé la série en quatre épisodes « Le Voyage à Lisbonne » et une bonne histoire, particulière certes, celle d’un peuple expulsé du Portugal, le pays où je suis né, et que deux siècles plus tard, émigrés dans les pays de l’Est, puis obligés de revenir au Portugal pour avoir la vie sauve. J’avais trouvé le socle de mon histoire qu’il me fallait développer et étoffer via Varsovie, Berlin, Paris et Bordeaux.

A Bordeaux, je rencontrais un frère capucin le Père Bernard Rivière qui avec le Professeur Manuel Dias furent les précurseurs du combat pour la réhabilitation d’Aristides de Sousa Mendes. Le Père Rivière s’enthousiasma pour mon projet tout en ajoutant « un bon film serait un film sur « Le Consul de Bordeaux » sur « Mendes ». 

De retour à Bruxelles, je devais me rendre à Hollywood (Los Angeles) et j’avais remarqué que le ‘Simon Wiesenthal Center’ avait organisé une cérémonie à la mémoire de Sousa Mendes. 

Comme je ne restais que trois nuits à Los Angeles, je me suis mis à la recherche dans la communauté juive belge d’une personnalité qui pourrait me recommander auprès du Center.

Je me suis souvenu du Professeur Isy Pelc, qui m’avait soutenu lors de mon tournage du long métrage sur la drogue « Les Territoires de la défonce ».

Isy m’avoua qu’il ne connaissait pas du tout l’histoire du Consul de Bordeaux, il avait un ami Georges Schnek, Président du Consistoire Juif de Belgique qui plus tard sera à l’origine du Musée Juif de Belgique et qui non plus ne connaissait pas Sousa Mendes mais était prêt à m’aider me rédigeant une lettre de recommandation pour le Centre Simon Wiesenthal.

J’ai demandé à Elliot Silberstein, Président de l’Artist Rights Foundation, de me prendre un rendez-vous avec le Rabbin Marvin à qui je demandais plus de précisions sur Sousa Mendes. Immédiatement, il m’interrogea « lesquelles »? Je me suis alors lancé et je ne comprenais pas comment le Consul du Portugal en Juin 1940 avait-il pu délivrer plus de 30.000 visas en un peu plus de deux semaines ?

Le Rabbin sourit s’est levé de sa chaise et me questionna « avez-vous déjà vu un visa MENDES ? ». J’ai fait non de la tête, le Rabbin se dirigea vers un grand coffre l’ouvrit et me tendit un petit papier jauni plié en quatre. « Voici, regardez ce petit rectangle de papier et vous comprendrez » me dit-il. Je dépliais le petit rectangle de papier jauni et j’y ai lu un nom juif écrit à la main, un tampon du consulat du Portugal à Bordeaux, une date de juin 1940, et une signature MENDES.

« Le Consul avait peu de temps, il signait des milliers de documents à la main et pour aller plus vite, il ne signait plus que MENDES ». Je lui dis étonné : « cela ressemble à un sauf-conduit du Moyen-Age ». « C’est cela », dit-il en repliant le bout de papier et retournant le déposer dans le coffre. En le refermant, le Rabbin ajouta « mais cette stratégie a marché, c’est pourquoi, il est devenu un « Juste parmi les Nations ».

A ce moment précis, je décidais de tout mettre en oeuvre pour écrire et réaliser « Le Consul de Bordeaux ».

João Corrêa

www.joaocorrea.com


Note personnelle pour l’ORT en Belgique  

Je souhaite remercier l’ORT et Charlotte Gutman pour l’importante contribution non seulement à la promotion du film « LE CONSUL DE BORDEAUX », de sa musique originale mais aussi des livres et de la pièce de théâtre que j’ai consacrés à la mémoire d’Aristides de Sousa Mendes.

Le Juste de Bordeaux, accomplira, en Juin 1940 selon l’historien Yehuda Bauer, la plus grande opération de sauvetage menée par un seul homme pendant la Deuxième Guerre Mondiale, sauvant plus de trente mille personnes dont dix mille Juifs. Il décédera pourtant en 1954, abandonné de tous, dans le plus grand anonymat et dénuement. Sa famille dispersée, luttera pour faire reconnaître son action et sa mémoire.

En 1966, le Mémorial de Yad Vashem (mémorial israélien situé à Jérusalem, construit en mémoire des victimes juives de la Shoah) en Israël, l’honore du titre de « Juste parmi les Nations ». 

En 1986, le 15 novembre, il est décoré à titre posthume par le président de la République portugaise, Mario Soares, de l’Ordre de la Liberté, au grade d’Officier et sa famille reçoit les excuses publiques.

En 1994, la ville de Bordeaux donne son nom à une rue et à une école du quartier des Chartrons, et le président portugais Soares dévoile un buste du Consul à Mériadeck, ainsi qu’une plaque au no 14 quai Louis-XVIII, adresse du Consulat du Portugal en 1940.

En 1995, à Lisbonne, 25 ans après la mort de Salazar et 21 ans après la démocratisation du Portugal, Mario Soares, Président de la République portugaise, réhabilite la mémoire d’Aristides de Sousa Mendes et le décore de la Croix du Mérite du Christ à titre posthume pour ses actions à Bordeaux.

En 2010, la ville de Bayonne nomme une rue « Aristides de Sousa Mendes » en son honneur.

Après quelques années d’avatars divers, le film « LE CONSUL DE BORDEAUX » fût présenté à Bruxelles le 26 Juin 2011 et depuis dans de nombreux pays de par le monde.

Le 22 mai 2013, dans le cadre d’une soirée de l’ORT, eut lieu la première de la version française du film précédée d’un concert de la musique originale jouée par les jeunes du « European Brussels Orchestra », en présence de Didier Reynders alors Ministre des Affaires étrangères de Belgique (aujourd’hui, commissaire européen), de Marc Daout, un petit-fils d’Aristides de Sousa Mendes et de nombreux consuls de divers pays. 

Le débat fut animé et Didier Reynders reconnut qu’il ne savait pas comment il aurait réagi dans de telles circonstances. « Obéir à son gouvernement ou écouter sa conscience ? ».

Didier Reynders assiste à la projection du film « Le Consul de Bordeaux » en présence d’un petit-fils du Consul,
de João Correa (co-réalisateur) et d’Henri Seroka compositeur de la musique du film dans le bâtiment de la Communauté Israélite Libérale de Belgique (CILB – Beth Hillel).

Le 23 janvier 2014, toujours avec le soutien de l’ORT, le Christian Center de Rhode-Saint-Genèse, présenta le film, également suivi d’un débat.

 Le 7 mars 2016, Charlotte Gutman mènera la présentation de la première édition de mon livre « Sousa Mendes – Le Consul de Bordeaux » à la Salle Gothique de Hôtel de Ville de Bruxelles devant plus de 200 personnalités.

En 2020 l’Ambassade du Portugal à Buenos Aires organise une présentation du film 

« Le Consul de Bordeaux » simultanément en Argentine, Chili, Colombie et Pérou pour le 80ème anniversaire des Visas Mendes.

Grâce à l’intervention du Congrès Juif Européen, de nombreux exemplaires de mes livres ont pu être déposés dans les bibliothèques publiques de ces quatre pays de l’Amérique latine. 

Mes plus sincères remerciements à l’ORT et à Charlotte Gutman pour leur contribution décisive à la mémoire d’Aristides de Sousa Mendes « Le Juste de Bordeaux ». 


Introduction de Charlotte Gutman pour « Le Consul de Bordeaux »  

La vie de Sousa Mendes fut celle d’un croyant, catholique convaincu.

Sa bravoure au début de la 2ème guerre mondiale, alors Consul à Bordeaux, fut celle d’un humaniste qui au risque de sa vie et de celle de sa famille, désobéira aux ordres de Salazar et de son gouvernement portugais. Par ses actions, écoutant son cœur plus que sa raison, il prouvera une solidarité sans limites.

Depuis l’avènement d’Hitler au poste de Führer – guide – Chancelier du peuple allemand en 1933, l’étau se referme graduellement sur le peuple juif. Environ 522.000 juifs vivaient alors en Allemagne.

La plupart étaient des citoyens allemands depuis de longues générations, qui auront contribué au développement du pays.  Leur pays, auquel ils se sont dévoués, entre autres, pendant les dernières guerres. 

Cf la ReichsKristallnacht du 9 novembre 1938. En 1935, les lois de Nuremberg les privent de nombreux droits, ainsi que de la citoyenneté allemande. Dès 1938, leurs passeports sont confisqués, ils ne peuvent exercer une profession médicale et doivent déclarer tous leurs biens. Ces mesures ont pour but de pousser les Juifs à émigrer. Mais le mouvement n’est pas assez rapide pour les nazis. Le 7 novembre 1938, un jeune Juif nommé Herschel Grynszpan assassine Ernst vom Rath, un diplomate allemand, à Paris. Les nazis profitent de cet acte pour lancer la nuit de Cristal, un pogrom de grande ampleur qu’ils font passer pour un mouvement populaire.

La naïveté des uns et la stratégie créative et démoniaque des autres feront l’Histoire dramatique de la 2ème guerre mondiale. 

Depuis 1920, Joseph Goebbels était actif dans la propagande du « parti national-socialiste pour les travailleurs », le parti nazi. Il devint ministre de l’Éducation du peuple et de la Propagande dès l’avènement du dictateur Hitler. Il n’aura de cesse de développer des messages mensongers et caricaturaux. Ces messages seront repris dans l’économie, le sport et les arts dont le cinéma, le théâtre, et la presse écrite & radio, … 

Cf En France, la première ordonnance du 27 septembre 1940 impose le recensement des Juifs de la zone occupée sur un registre spécial en préfecture et le placement d’une affiche jaune « Entreprise juive » sur la devanture des commerces appartenant à des Juifs.

Goebbels utilisait les media et le système éducatif pour construire une perception de la réalité qui mettait l’idéologie de l’État au sommet de la morale.

Malgré une élection démocratique, le but de ce gouvernement totalitaire sera « de mettre les citoyens au pas » -Gleichschaltung- et de diviser les Allemands en deux blocs: les obéissants -la majorité- et les désobéissants qui avaient la tâche difficile et l’ont souvent payé de leur vie.

Une organisation répressive s’est imposée avec succès trop longtemps, à tous les niveaux de la société, et mènera le peuple allemand aux confins de son humanité. Certains (peu) cacheront des juifs ou les aideront à fuir l’Allemagne nazie. D’autres seront déportés car leur mode de vie ou leurs particularités ne correspondaient pas aux critères ariens: les résistants, les communistes, les handicapés, les homosexuels, les romanichels, …

Cf En Belgique, le Service du Travail Obligatoire (STO) est instauré par une ordonnance allemande datée du 6 octobre 1942. Elle concerne des dizaines de milliers de Belges qui sont contraints à l’exil. Ils sont mis au service de l’industrie, de l’agriculture, des chemins de fer allemands, etc.

La Belgique fut considérée comme pleinement libérée en février 1945. Au total, 40 690 Belges, dont la moitié étaient juifs, ont été tués durant l’occupation et le produit intérieur brut du pays avait diminué de 8 % par rapport à son niveau d’avant-guerre. Sur les 24.906 Juifs déportés de la caserne Dossin, seulement 1.207 ont survécu.

Dans ce monde complexe d’alliances et mésalliances… il n’est pas évident de voir d’où viendra le mal infâme. Que dis-je ? Le mal infâme est d’ores et déjà parmi nous. 

Il est/sera donc difficile de l’éradiquer.

« La seule chose qui permet au mal de triompher est l’inaction des hommes de bien »

Edmund Burke (1729 – 1797)

Aristides de Sousa Mendes s’est distingué parmi les hommes de bien en sauvant près de 30.000 personnes de l’Europe nazie (un tiers fut issu de la communauté juive). Ce qui lui valut le 18 octobre 1966 une reconnaissance posthume de Yad Vashem, l’Institut International pour la Mémoire de la Shoah à Jérusalem, comme « Juste parmi les Nations ».

L’Association « L’Enfant Caché ASBL » et « Le Musée Juif de Belgique » ont annoncé « L’Année des Justes » pour la reconnaissance et la commémoration des Justes de Belgique et d’Europe. A cause du COVID et pour des raisons sanitaires, ce projet a été retardé.

Leur bravoure et leur humanité doivent rester un exemple.

Charlotte Gutman

Témoin du syndrome de la deuxième génération de la Shoah

Présidente de l’ORT Belgique ASBL 


Dernier roman de l’auteur publié en 2020